Prof. Yves Dauvilliers
Neurologue du Département de Neurologie, Hôpital Gui de Chauliac, CHU Montpellier (France). Directeur de l’Unité de Sommeil et coordinateur du centre de référence Hypersomnie Rare. Le Professeur Yves Dauvilliers est un expert internationalement recon
Question. Le centre du sommeil du département de Neurologie de Montpellier est un centre internationalement reconnu, à l’origine des premières études réalisées sur le sommeil en Europe sous la direction du Professeur P. Passouant. Le premier symposium international sur la narcolepsie a été réalisé sous sa direction en 1975. Son successeur, le Professeur M. Billiard, a contribué à pérenniser cette tradition avec des nombreux spécialistes du sommeil du monde entier formés à Montpellier. À présent, nous sommes à la troisième génération de professeurs spécialisés dans le domaine du sommeil. Pouvez-vous nous expliquer les principaux résultats et objectifs du centre du sommeil de Montpellier actuellement ?
Réponse. C’est un réel plaisir pour moi d’être le directeur de l’Unité de Sommeil du CHU de Montpellier, centre qui a une longue tradition sur la narcolepsie et la médicine du sommeil en général.Actuellement, nous continuons à travailler principalement sur différents axes de recherche sur la narcolepsie : les facteurs génétiques et environnementaux, le système immunologique, les conséquences de la perte de fonction du système hypocrétinergique sur diverses fonctions cérébrales et périphériques (cardiovasculaires, métaboliques, addiction, prise de décision, douleur…) mais aussi sur de nouvelles stratégies thérapeutiques pour aider les patients narcoleptiques.
Q. Nous sommes intéressés par plusieurs de vos articles concernant la narcolepsie, spécialement ceux sur l’association entre le vaccin H1N1 (vaccin avec l’adjuvant ASO3) et la narcolepsie avec cataplexie en France chez les enfants et les adolescents. Récemment, vous avez rapporté les résultats de l’étude narcoflu-VF dans la revue Brain (en 2013) qui montrent une augmentation du risque de narcolepsie chez l’enfant et chez l’adulte. À ce jour-ci, seule la France a rapporté cette association chez l’adulte. Quels sont les facteurs pouvant expliquer cette association ? Quels sont les aspects principaux de cette étude ?
R. Nous avons rapporté en France une association entre la vaccination H1N1 et la narcolepsie avec cataplexie chez les enfants et les adultes en comparaison avec des témoins et en comparant le phénotype de la narcolepsie selon l’exposition au vaccin. La vaccination H1N1 est associée à la narcolepsie avec cataplexie avec un OR de 6,5 chez les enfants et 4,8 chez les adultes. De rares différences ont été mises en évidence entre les cas exposés et non-exposés. Cette association est robuste aux analyses sensitives et une analyse spécifique du vaccin avec adjuvant retrouve des résultats similaires. Je pense que cette association existe quelque soit l’âge, mais semble plus marquée chez l’enfant en rapport avec d’autres facteurs environnementaux comme les infections.
Q. Vous avez été l’un des auteurs de l’article sur les guidelines de la prise en charge de la narcolepsie publié par la Fédération Européenne des Sociétés Neurologiques (Eur J Neurol 2006) et le coordinateur des études sur le Pitolisant, un nouveau psychostimulant utilisé dans la narcolepsie ((Etude Harmony). Pourriez-vous nous faire des commentaires sur ce nouveau médicament ?
R. Nous avons testé depuis 8 ans les effets positifs et les effets secondaires du Pitolisant, un agoniste inverse des récepteurs H3 qui active les neurones histaminergiques chez les patients narcoleptiques. Nous avons réalisé une étude randomisée double aveugle, en groupe parallèle dans la narcolepsie (Lancret Neurol, 2013). Le Pitolisant à dose de 40 mg est efficace sur la somnolence sur le plan subjectif et objectif en comparaison au placebo et bien toléré en comparaison au Modafinil. Le Pitolisant peut aussi être efficace sur la fréquence des cataplexies. Finalement, le Pitolisant peut être un nouveau traitement pour les patients narcoleptiques avec un mécanisme d’action différent et un potentiel pour une association thérapeutique.
Q. Vous avez été le premier clinicien à traiter les patients narcoleptiques avec des immunoglobulines intraveineuses avec une amélioration de la fréquence et la sévérité des cataplexies (Ann Neurol, 2004, 2006; Neurology, 2009). Toutefois, d’après la littérature, ces résultats restent controversés. Croyez-vous que la narcolepsie, une maladie autoimmune hautement probable, pourrait avoir un jour un traitement immunomodulateur efficace? Est-ce que nous manquons d’études contrôlées en Europe maintenant ?
R. Nous avons rapporté une certaine efficacité sur la fréquence et la sévérité des cataplexies après immunoglobulines intraveineuses chez des patients narcoleptiques hypocrétine –déficient à début récent avant traitement. Nous avons objectivé un effet majeur sur les symptômes et les taux d’hypocrétine dans le LCR chez un patient narcoleptique. Nos données suggèrent que traiter tôt peut permettre de modifier le pronostic de la maladie. Toutefois, toutes les études ne vont pas dans le même sens et nous avons besoin d’études randomisées pour prouver le potentiel thérapeutique des immunoglobulines ou d’autres immunomodulateurs proche du début de la maladie.
Q. Vous êtes intéressés dans les hypersomnies, notamment la narcolepsie et les comorbidités psychiatriques associés (BMC Medicine, 2013). Pensez-vous que la carence en hypocrétine peut expliquer ces comorbidités ? Y a-t-il plusieurs études convaincantes dans cette direction ?
R. Les symptômes dépressifs sont fréquemment retrouvés dans les hypersomnies centrales et notamment dans la narcolepsie. Du fait de ses projections sur d’importantes cibles comme l’amygdale, le cingulum ou le raphé dorsal, l’absence de fonctionnement du système hypocrétine peut contribuer à une dépression dans la narcolepsie avec cataplexie.
Q. Vous êtes aussi intéressés dans l’étude des comportements du circuit de la récompense et les processus émotionnels dans la narcolepsie humaine (Front Behav Neurosci, 2013). Quel est le rôle du système hypocrétine dans ces comportements et les processus émotionnels chez l’homme ?
R. En plus de ses fonctions de régulateur de la veille et du sommeil, les hypocrétines semblent réguler les circuits de la récompense, les émotions, l’humeur et l’addiction. Les études chez les souris narcoleptiques sont convaincantes en ce sens mais les résultats des quelques études chez l’homme sont encore préliminaires. Nous avons cependant montré que les narcoleptiques font plus de choix risqués dans des tâches de prise de décision quelque soit le traitement pris ou pas. Un certain degré de vulnérabilité à l’impulsivité et au jeu pathologique est donc possible chez ces patients hypocrétine-déficients, toutefois de larges études prospectives sont nécessaires pour répondre à cette problématique.
Q. Finalement, vous avez été un des fondateurs du réseau européen de la narcolepsie, pouvez-vous nous résumer les principaux résultats issus de ce réseau lors de ces cinq dernières années et commenter les perspectives de ce réseau à moyen terme ?
R. Nous avons encore besoin d’avancer sur la compréhension de la pathophysiologie de la maladie, ses conséquences et une optimisation de sa prise en charge. La narcolepsie est une maladie rare, nous avons besoin de partenaires européens pour avancer ensemble avec ainsi la constitution d’un réseau européen de la narcolepsie : EU-NN. Nous devons travailler ensemble dans la même direction sur la recherche sur la narcolepsie. Une base de données a ainsi été constituée pour répondre à d’importantes questions cliniques. En plus de cette base de données, une étude pangénomique ainsi qu’une étude pharmacologique sur le Pitolisant ont été réalisées au niveau européen. Toutefois, nous devons encore continuer à travailler ensemble sur des projets de recherche ambitieux au niveau européen et, particulièrement, au niveau de notre réseau européen de la narcolepsie: EU-NN.
Dra. Rosa Peraita-Adrados
Unidad de Sueño y Epilepsia-Neurofisiología Clínica. Hospital Universitario Gregorio Marañón. Madrid
Prof. Juan-Vicente Sanchez-Andrés
Director asociado de Revista de Neurología Departamento médico, Viguera eds.
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